Sommaire :

Causerie

Le grand prix de Paris a été couru dimanche à Longchamps et une fois encore la perfide Albion a succombé. Benvenulo, son champion, a été battu de loin par les représentants de l'élevage national, ayant à leur tête le vaillant Clamart. La patrie des petits pois ne doit pas être peu fière de voir son nom désormais illustré par cette gloire imprévue, autrement plus noble que celle des cultures maraîchères...

Il paraît que le triomphe de Clamart a été grandement facilité par le temps pluvieux: ce crach ayant une préférence marquée pour les terrains où l'on patauge. S'il en est ainsi, son heureux propriétaire peut l'envoyer courir en toute assurance le grand prix de la Ville de Lyon. Les courses du Grand-Camp manqueraient, en effet, à tous les devoirs qu'impose une vieille réputation si elles avaient lieu sans pluie.

Tout fait présager que cette année encore cette saine tradition sera respectée, d'autant plus que, depuis lundi, saint Médard a mobilisé tous ses arrosoirs.

Vous souvenez-vous des courses d'il y a deux ans? Ce fut un tel déluge qu'un de nos plus sympathiques confrères imagina, pour le dépeindre, la phrase suivante qui peut assurément passer pour un chef-d'oeuvre descriptif : « Avec son océan de parapluies, la piste était transformée en un véritable lac! »

Une autre institution lyonnaise généralement peu favorisée par le temps, c'est la Société des Concerts-Bellecour. Dès que l'orchestre du Grand-Théâtre transfère ses instruments sous les marronniers, la petite pluie qui abat le grand vent - même celui des trombones avec ou sans coulisses - se met à tomber, cinq jours sur sept, avec une régularité mathématique, dont les horloges municipales déréglées par l'Observatoire pourraient évidemment être jalouses. Et cependant on n'a certes pas le droit de dire que la musique exécutée par les artistes distingués de notre opéra soit de celles qui font pleuvoir !

Ces intempéries sont d'autant plus fâcheuses que Lyon, pendant la saison chaude, n'est pas précisément un séjour où les plaisirs soient remarquables par l'embarras du choix. Point de théâtres, de cirque d'été ou même de café-concert ! Cela manque décidément de spectacles. Sans ce brave Lassouche qui est venu, en troupier, suivre les bonnes aux Célestins, les Lyonnais auraient dû, cette semaine, se résigner bon gré mal gré à passer bourgeoisement toutes leurs soirées chez eux.

On avait espéré un moment, qu'un pauvre petit café-concert très bon enfant, très populaire et très gai - celui des Ambassadeurs - nous resterait tout au moins. Il avait rendu, l'année dernière, un peu d'animation et de vie à ce quartier des Célestins qui ressemble l'été à une succursale de Loyasse. Mais les hautes sphères municipales en ayant décrété la fermeture par un ukase sans appel, toute cette partie de la ville est condamnée à redevenir nécropole, et les Lyonnais continueront comme devant à se passer pendant trois mois de toute espèce de distractions.

Je suis injuste. Il est un spectacle public et gratuit auquel on peut de temps à autre consacrer, non sans agrément, ses loisirs du soir. C'est celui que donnent nos édiles en se prenant de bec à chacune de leurs séances. Il y a eu surtout, certain jour, un attrapage entre vétérinaire en retraite et médecin en activité, qui valait, je vous assure, un combat de taureaux.

A la vérité , ces discordes municipales s'expliquent. Il s'agit, en effet, d'attribuer à qui de droit la responsabilité de toutes les gaffes commises dans cette étonnante affaire de la rue Grêlée, qui peut être considérée, à juste titre, comme un modèle accompli d'incurie administrative. On pourrait même raconter, à ce propos, des choses dont la drôlerie serait non médiocre, si ce n'étaient les bons contribuables qui auront, en fin de compte, à les payer.

C'est ainsi que l'administration de la seconde ville de France ne s'est pas aperçue que si elle expropriait l'hôtel des télégraphes, il lui faudrait le reconstruire à grands frais, à moins qu'elle ne préfère priver les Lyonnais du droit pourtant bien légitime de recevoir des « petits bleus ». C'est ainsi encore que dans ses évaluations elle s'est trompée seulement de la bagatelle de quatre millions. De sorte qu'il lui va falloir voter de nouveaux crédits, qui mériteront doublement, cette fois, l'épithète d'extraordinaires.

Certes, il ne savait pas si bien dire le chansonnier du cru qui a rimé, pour le Caveau Lyonnais, la scie aujourd'hui populaire dans les six arrondissements et même à Vénissieux :

La foule est désoléeQu'on abatte la rue Grôlée!

Pour finir, une bien jolie coquille recueillie par un confrère parisien : Un journal sérieux publie une étude très documentée sur la Chine. L'auteur, un grave savant en us, est en train de lire sa prose, en jouissant du plaisir qu'on éprouve toujours à se voir imprimé vif, lorsqu'il tombe avec horreur sur la phrase suivante : - Après la Chine, - lui fait dire un facétieux typographe, - la contrée que j'ai le plus aimée et où j'ai découvert des choses merveilleuses, c'est le Jupon!

droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

Retour